Alliance Santé IA
Penser l’hôpital à l’ère de l’IA
Le CHU de Montpellier intègre l’IA dans son projet de transformation
Pourquoi parler d’« hôpital augmenté » ?
Dans tous les pays, la pression sur le système hospitalier se renforce : impact du vieillissement et de la dépendance, impact des maladies chroniques, insuffisante approche préventive, suscitent plus de besoin de soins, alors que le nombre de professionnels de santé ne progresse pas concomitamment et que les contraintes budgétaires majeures rendent le progrès médical et technologique complexe à intégrer.
L’intelligence artificielle ne résout évidemment pas l’ensemble de ces enjeux mais la recherche internationale montre qu’elle peut améliorer la pertinence des décisions, réduire les erreurs et rendre du temps aux soignants. Dans de nombreuses situations nouvelles, le fait que l’IA puisse apporter un résultat en temps utile pour prendre une décision médicale vient modifier les pratiques.
L’IA est désormais présente dans toutes les spécialités, du diagnostic à la prévention, comme dans les « fonctions supports » : programmation des blocs, admissions, pharmacie, qualité, finances, achats etc. Autrement dit, l’IA touche l’ensemble du monde hospitalier et ne se limite pas aux médecins ou à l’imagerie. Correctement pensée, l’IA peut constituer une opportunité, sans démarche stratégique, elle peut devenir une contrainte.
Un « ticket d’entrée » élevé qui impose une transformation systémique
Il ne saurait y avoir d’IA hospitalière sans transformation systémique. Cela requiert un travail exigeant pour préparer les données, garantir la confidentialité et le consentement des patients à l’usage et au ré-usage (y compris quand les données sont génomiques, biométriques ou encore à risque d’être recoupées avec d’autres sources).
Des infrastructures de calcul sécurisées doivent être bâties en environnement labellisé « Hébergeur de données de santé ». Des compétences rares sont à recruter en ingénierie de modèles, sécurité, évaluation, conduite du changement. Il faut surtout une vision stratégique d’établissement et une gouvernance claire des usages et des risques, l’une et l’autre bâties en toute transparence avec l’ensemble des parties prenantes de l’établissement, dans le respect des prérogatives des instances.
Au CHU de Montpellier, nous sommes parvenus à bâtir une IA institutionnelle, souveraine et interopérable, connectée à notre système d’information, donnant corps à nos objectifs stratégiques et évaluée dans sa mise en œuvre.
Notre engagement collectif : intégrer l’IA dans notre fonctionnement, selon nos priorités hospitalières, pour nos patients et pour nos professionnels
La transition vers l’« hôpital augmenté » ne se résume ni à un chatbot grand public ni à une juxtaposition de petites applications. Elle consiste à doter l’établissement d’un moteur transversal qui augmente les pratiques et les collectifs, comme elle épaule les individus. L’IA n’est pas une fin en soi : c’est un moyen pour soigner mieux, documenter plus vite, sécuriser les parcours, apprendre de nos données et accélérer l’innovation clinique.
Ce que nous avons construit
Une base souveraine et sécurisée
L’IA hospitalière du CHU de Montpellier repose sur des infrastructures HDS (hébergement de données de santé) et un cluster de calcul haute performance de 8GPU H100, de DELL Technologies. Ces briques essentielles garantissent la confidentialité, la traçabilité et la disponibilité nécessaires pour travailler sur des informations sensibles, sans externaliser ni la donnée ni la décision. Cette souveraineté technique s’accompagne d’une souveraineté d’usage : les objectifs, les règles et les limites sont définis par l’établissement, avec un contrôle humain constant.
ERIOS Assistant, le cœur de l’expérience utilisateur
Ajouté à ce socle technologique, nous avons développé ERIOS Assistant, agent conversationnel souverain, conçu pour comprendre la parole et l’écrit en temps réel, soutenir le raisonnement clinique, générer des documents normés et produire des données structurées. ERIOS Assistant est un formidable outil d’IA, qui s’intègre déjà au dossier patient informatisé (DPI), dialogue avec l’entrepôt de données, puis s’interfacera avec les outils de planification, la pharmacie et les systèmes de gestion, pour exécuter des actions sous supervision. Nous maîtrisons l’ingénierie des modèles : évaluation, gestion de versions, maîtrise de l’incertitude, garde-fous, journalisation des décisions et auditabilité.
Une première intégration clinique déjà opérationnelle
Les premiers cas d’usages concernent la rédaction et la mise en forme de documents médicaux normés (comptes rendus, certificats), l’aide à la décision contextualisée et la structuration des informations pour qu’elles soient directement réutilisables dans le codage, la facturation. L’intégration avec les notes médicales du DPI est engagée ; elle permet d’éviter les doubles saisies et de qualifier les données à la source. Les informations utiles à la réalisation de protocoles de recherche sont de même détectées. Avec ces premiers usages, l’enjeu est de rendre du temps aux professionnels de santé, qu’ils pourront consacrer à la prise en charge de leurs patients.
Une logique permanente de l’évaluation
Un premier essai clinique validé par le comité d’éthique et devant inclure 120 familles volontaires aux Urgences pédiatriques a débuté en septembre 2025. Cette étude permet de mesurer les perceptions et les apports pour les patients et les professionnels de la génération de compte rendu et de lettre explicative à la famille produite en temps réel.
Par ailleurs nous avons réalisé plusieurs travaux -en cours de publication- sur la fiabilisation des dispositifs d’IA que nous avons inventés pour catégoriser de façon fiable l’information provenant de documents médicaux sous forme de textes comme des comptes rendus, des lettres. Pour illustration, nous avons pu réaliser en quelques heures le traitement des 27 000 commentaires laissés par les usagers sur le dispositif d’évaluation de la satisfaction e-Satis suite à leur hospitalisation au CHU de Montpellier ou encore sélectionner de façon rétrospective en quelques minutes les patients présentant des critères d’inclusion précis pour une étude rétrospective à partir de milliers de comptes rendus de réanimation d’une période donnée.
Ce que nous lançons maintenant
Un déploiement à l’échelle de l’établissement
Le prototype qui a été développé va être lancé à l’échelle du CHU. Nous organisons des connexions standardisées entre le moteur d’IA et l’ensemble des briques du système d’information : modules du dossier patient informatisé, planification des séjours, prescriptions pharmaceutiques, qualité et sécurité des soins, pilotage financier, reporting qualité etc. L’IA devient un orchestrateur maîtrisé par les professionnels utilisateurs, capable de déclencher des enchaînements d’actions, y compris des automatisations (RPA) pour simplifier le quotidien des professionnels et sécuriser le parcours du patient. Chaque automatisation demeure supervisée : la décision médicale et la responsabilité restent humaines, l’évaluation est continue.
Gouvernance, formation et supervision en temps réel
Pour qu’une intégration soit possible et durable, l’accompagnement des équipes est crucial. Nous avons mis en place une gouvernance d’usage qui précise ce que l’IA peut faire, dans quelles conditions, comment elle est contrôlée et les process d’évaluation tant de son fonctionnement que de ses effets. Nous outillons ainsi la supervision en temps réel des usages et des performances des modèles : qualité de réponse, dérives potentielles, explications disponibles pour les utilisateurs. L’École de la Transformation Hospitalière, ouverte en janvier 2024, forme les soignants, les cadres et les fonctions supports aux nouveaux gestes numériques ; pour leur permettre de gagner en compétences et ainsi voir leur employabilité renforcée, pour éviter toute sensation de déclassement et ainsi apaiser les crainte.
Que changeons-nous concrètement ?
Moins de saisie, plus de temps pour les soins et la recherche
En réduisant la charge de saisie, en qualifiant les informations dès leur production et en éliminant les ressaisies, nous accélérons l’accès à l’information. Du compte rendu au codage, de la traçabilité à la facturation, les délais diminuent et les erreurs se raréfient. Les professionnels récupèrent du temps utile auprès des patients ou pour des tâches auxquelles ils prêtent plus de valeur.
Une information désilotée qui gagne en utilité
En structurant les données et en partageant les mêmes indicateurs entre soignants, gestionnaires et direction, nous désilotons l’information et favorisons l’accès aux informations utiles. Cela permet un pilotage plus juste, des circuits plus fluides, des rejets payeurs en baisse et une valeur publique mesurable : moins de pertes de chance, moins de retards, des parcours plus sûrs. En permettant à des chercheurs d’avoir accès aux données de santé, dans un cadre sécurisé et souverain, nous accélérons le « discovery ». En traitant nos factures avec une IA, nous respectons plus facilement le délai de paiement.
Une innovation clinique accélérée, sans externaliser la décision
Parce que l’IA est intégrée au cœur du système, elle peut être évaluée en situation réelle : nous testons des algorithmes prédictifs qui mobilisent des données cliniques et de parcours, sans sortir les données de l’hôpital et sans déporter la décision. Une même interaction homme–machine autour d’un événement clinique peut soutenir le raisonnement, interroger les référentiels, produire et mettre en page les documents requis, proposer les actes à valoriser avec leurs justifications, alerter les bons métiers, alimenter le pilotage et structurer les données pour la recherche.
Trois scénarii parlants
1. Aux urgences pédiatriques
Un enfant est vu pour une crise d’asthme. Le clinicien énonce ses observations. ERIOS Assistant intervient : il les comprend, propose un compte rendu conforme au modèle du service, suggère la prescription la plus adaptée aux référentiels, prépare la lettre de sortie à destination des parents et du médecin traitant, et alimente automatiquement les éléments de codage. Le tout est vérifié et validé par le médecin en une seule interaction.
2. Au bloc opératoire
La réalisation d’une intervention assistée : l’IA dans une conversation avec l’équipe chirurgicale vérifie les items de la checklist, signale un risque d’erreur, permet la génération du compte rendu opératoire, mais aussi la cotation des actes et le recueil du matériel utilisé, tout en notifiant la pharmacie d’un besoin inhabituel, et en mettant à jour les tableaux de bord qualité et pilotage. Les équipes se concentrent sur l’essentiel : le patient.
3. En médecine ambulatoire
Lors d’une consultation longue de patients chroniques, l’assistant rassemble l’historique utile, propose une synthèse claire, génère l’ordonnance aux normes du service, prépare le courrier pour le médecin traitant et crée automatiquement des données structurées pour le suivi populationnel ; identifie les actions de préventions possible : le praticien garde la main et le dernier mot.
Une transformation soutenable socialement et budgétairement
Intégrer l’IA à l’échelle d’un CHU n’a de sens que si l’on finance l’IA par l’efficience qu’elle produit. Les gains de temps, l’exhaustivité du codage et la baisse des rejets payeurs sont capitalisés pour couvrir les coûts propres de l’IA et conforter la marge de l’établissement. Cette trajectoire s’appuie sur une démarche institutionnelle lisible : stratégie, priorités, calendrier, dialogue social spécifique aux réorganisations induites, transparence des résultats. L’enjeu n’est pas de remplacer, mais d’augmenter les équipes, de stabiliser les organisations et d’attirer de nouveaux talents.
Sécurité, éthique et confiance
La confiance se gagne par la preuve : hébergement HDS, contrôle d’accès, journalisation, traçabilité des usages, évaluation régulière des modèles, capacité d’explication des recommandations, et contrôle humain systématique. Les usages sont cadrés : finalités proportionnées, pas d’apprentissage sauvage sur des données non prévues, pas d’externalisation incontrôlée. Le patient peut savoir comment ses données sont utilisées, par qui et dans quel but. Cette exigence rend l’IA auditable, réplicable et responsable.
Comment nous mesurons l’impact
Nous suivons des indicateurs simples à comprendre : temps administratif restitué aux soignants ; satisfaction des professionnels, délais entre la production d’un compte rendu, son codage et la facturation ; exhaustivité du codage et taux de rejets payeurs ; pertinence des alertes de sécurité ; complétude et structuration des données utiles à la recherche. Ces mesures servent à corriger les usages, à rendre compte aux usagers et à prioriser les investissements.
En synthèse
Cette approche est originale car elle refuse l’introduction de l’IA au gré d’une collection d’outils ajoutés les uns aux autres et développé par des tiers. Elle se prémunit de tout usage non maîtrisé d’un chatbot public et n’externalise aucune donnée sensible. Elle offre une alternative au shadow IT qui fragilise les établissements. Elle rend le CHU de Montpellier capable d’agir de manière interopérable et souveraine, intégrant l’IA au système d’information, de manière gouvernée et évaluée dans la durée, au service des soins, de l’enseignement, de la recherche et du pilotage.
Nous poursuivons l’industrialisation, lot par lot, service après service, en élargissant le périmètre d’ERIOS Assistant et en renforçant la supervision d’ensemble de notre démarche. Nous développons une interface de supervision pour les cadres.
Cette stratégie est menée avec les équipes, pour les patients, au cœur de l’écosystème montpelliérain MedVallée, pour être réplicable dans les autres hôpitaux.
Questions fréquentes (version synthétique)
Vos données sont-elles protégées ? Oui. L’IA fonctionne dans l’hôpital, sur des infrastructures HDS, avec journalisation, traçabilité et contrôle d’accès. Les décisions médicales restent humaines.
Pourquoi parler d’IA “souveraine” ? Pour maîtriser nos usages, nos algorithmes et nos données, garantir l’auditabilité et éviter toute dépendance qui fragiliserait la confiance.
Quand verrai-je les effets ? Des usages sont déjà en production (documents normés, aide au raisonnement, structuration). Les résultats s’étendent à mesure que l’intégration progresse.
Les soignants seront-ils remplacés ? Non. L’IA automatise des tâches répétitives, sécurise les parcours et soutient le raisonnement. Elle redonne du temps au soin et renforce l’employabilité.
En résumé
L’IA hospitalière utile n’est pas une démonstration technologique : c’est une intégration gouvernée qui s’inscrit au cœur du système d’information, structurée par des infrastructures, des compétences et une vision d’établissement. C’est l’ambition du CHU de Montpellier : faire l’hôpital avec l’IA, pour une médecine plus personnalisée, un hôpital plus fluide et une innovation clinique accélérée - au service de tous.
