BIP 2025 N°1

EDITORIAL

Paracétamol challenge : fake news mais vraies intoxications

Ces dernières semaines, une nouvelle alerte sanitaire a émergé : le « paracétamol challenge », un défi viral sur les réseaux sociaux qui inciterait les adolescents à ingérer de fortes doses de paracétamol pour être celui qui reste le plus longtemps à l’hôpital. Relaté par plusieurs médias français et européens, le phénomène avait fait l’objet d’une alerte de l’ARS Occitanie auprès des pharmaciens d’officine pour renforcer la vigilance concernant la délivrance de paracétamol à des mineurs. En réalité, le « paracétamol challenge » s’est révélé être une fake news dont on ne retrouve pas la trace sur les réseaux sociaux mais qui a été propagée sans réelle vérification par l’urgence d’alerter devant la gravité de cet incompréhensible idée morbide. Cependant, une réalité inquiétante demeure : les intoxications volontaires au paracétamol chez les adolescents sont bien réelles et extrêmement dangereuses comme l’a récemment souligné l’ANSM.

On pourrait dire que l’histoire du « paracétamol challenge » est un nouvel exemple illustrant les dangers de la désinformation en santé (le fait d’en parler pourrait donner de mauvaises idées aux adolescents ?), mais paradoxalement, on pourrait y voir plutôt un aspect positif. En remettant en lumière la dangerosité du paracétamol et son risque d’hépatotoxicité sévère, parfois mortelle, elle a permis de parler d’iatrogénie médicamenteuse, de rappeler les règles de bon usage du paracétamol et de potentiellement prévenir les intoxications ou réduire la gravité des ingestions volontaires.

Quoi qu’il en soit, notre responsabilité en tant que professionnels de santé reste de lutter contre la désinformation tout en renforçant la prévention. Toute occasion est bonne à prendre pour répéter inlassablement les règles de bon usage du médicament. 

 

Jean-Luc Faillie

 

CHU Montpellier

CHU Toulouse

VOTRE SERVICE DE PHARMACOLOGIE MEDICALE

Les pharmacologues médicaux sont des spécialistes du médicament, médecins et pharmaciens, qui ont pour missions l’évaluation et le suivi de l’efficacité et de la sécurité des médicaments, les vigilances associées aux médicaments et aux drogues, l’information sur le bon usage du médicament et l’enseignement de la pharmacologie médicale auprès des étudiants en santé et des professionnels de santé. Les services de pharmacologie médicale et toxicologie des CHU de Montpellier et de Toulouse regroupent plusieurs structures médicales : centres régionaux de pharmacovigilance et d’information sur le médicament, centres d’addictovigilance, laboratoires de toxicologie et de suivi thérapeutique pharmacologique, unités de pharmacologie clinique et pharmaco-épidémiologie et unité de prévention du dopage.

 

Informations importantes et alertes concernant le bon usage et la sécurité des médicaments

ANSM

Rhume : ordonnance obligatoire pour toute dispensation de médicament à base de pseudoéphédrine (10/12/2024) : lien 

 

Valproate et risques pour l’enfant à naître : les conditions de prescription et de délivrance évoluent pour les adolescents et les hommes susceptibles d’avoir des enfants (13/12/2024) : lien

Bien que les données disponibles à ce jour ne permettent pas de retenir un risque augmenté de troubles du neurodéveloppement chez les enfants nés de pères traités par valproate au moment de la conception, comme cela a été développé dans notre dans notre précédent BIP (lien), l’ANSM a souhaité par précaution renforcer les conditions de prescription et de délivrance du valproate chez les adolescents et les hommes en âge de procréer.
Marie-Andrée Thompson-Bos (Montpellier), Isabelle Lacroix (Toulouse) 

Carbamazépine et grossesse : renforcement de l’information des femmes pour les sensibiliser aux risques encourus par les enfants à naître (13/12/2024) : lien

 

De nouvelles données sur le risque de méningiome associé à la prise de progestatifs en contraception orale (20/12/2024) : lien

 

Liste des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) publiée par l’ANSM (19/12/2024) : lien

 

Fortes tensions d’approvisionnement en quétiapine (XEROQUEL® LP et génériques) : nouvelles conduites à tenir (30/01/2025) : lien

 

Vapotage de substances psychoactives (hors nicotine) : des pratiques plus risquées qu’on ne le pense (06/02/2025) : lien

 

Fluoroquinolones : nous rappelons l’importance du bon usage de ces antibiotiques (20/02/2025) : lien

 

Paracétamol : attention aux intoxications volontaires par des enfants et des adolescents (21/02/2025) :lien

 

Tramadol et codéine : les nouvelles règles de prescription et délivrance entrent en vigueur le 1er mars 2025 (26/02/2025) : lien

 

Des pratiques illégales d’injection de toxine botulinique mettent en danger les utilisateurs (27/02/2025) : lien

EMA

Médicaments contenant de la doxycycline et risque suicidaire : données actuellement insuffisantes pour établir un lien de causalité (09/12/2024) : lien 

 

Médicaments contenant du sémaglutide : le PRAC procède à l’évaluation de la neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIAN) (21/01/2025) : lien

SFPT

Intérêt des campagnes de sensibilisation à la vaccination contre la grippe (15/01/2025) : lien

 

Mésusage et désinformation autour du bleu de méthylène (17/01/2025) : lien

 

Mieux comprendre les effets placebo et nocebo

Marilou Duboëlle, Virginie Brès et Jean-Luc Faillie (Montpellier)

Les effets placebo et nocebo sont des réponses psychobiologiques importantes observées chez les patients en l'absence d'une action pharmacologique spécifique du traitement. L'effet placebo se manifeste par une amélioration de l’état de santé, tandis que l'effet nocebo entraîne une aggravation des symptômes ou l'apparition d'effets indésirables. Ces phénomènes illustrent l'impact significatif des attentes des patients sur leur perception des symptômes, que les traitements soient actifs ou inactifs.

L’étude de l’effet nocebo est éthiquement complexe car elle repose sur des procédures stressantes et anxiogènes. Les suggestions verbales d’issues négatives utilisées pour provoquer une attente d'aggravation clinique peuvent, en effet, induire une aggravation réelle de la condition du patient.

 

Dans le domaine de la douleur, les effets placebo et nocebo révèlent des mécanismes distincts. L'effet placebo repose sur la libération des opioïdes endogènes, des substances naturellement produites par le cerveau, qui, en se liant aux récepteurs µ-opioïdes, diminuent la transmission des signaux de douleur et provoquent ainsi un effet analgésique.

À l'inverse, l'effet nocebo, fortement influencé par des suggestions verbales, des expériences antérieures négatives ou l’anticipation d’un résultat défavorable,  fait intervenir la cholécystokinine (CCK) : l'anxiété anticipative activerait la libération de la CCK, augmentant ainsi la transmission des signaux de douleur et provoquant une hyperalgésie.

L'effet nocebo serait également lié à des situations de stress comme en témoigne l’augmentation des concentrations plasmatiques de cortisol et d’hormone adrénocorticotrope (ACTH), indiquant l'activation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Cependant, l'antagonisation de la CCK ne bloque pas cette réponse au stress, ce qui suggère que la modulation de la douleur par la CCK et la réponse au stress par cet axe sont des processus distincts. Le diazépam, anxiolytique connu, réduit l'hyperalgésie liée au nocebo en diminuant l'anxiété, sans affecter directement la modulation de la douleur par la CCK, prouvant que ces mécanismes sont indépendants.

Des études de neuroimagerie montrent que les attentes des patients moduleraient l'activation de certaines régions cérébrales impliquées dans la perception de la douleur. Ainsi, les attentes d'une diminution de la douleur réduisent l'activation des zones cérébrales concernées, tandis que les attentes d'un stimulus douloureux augmentent objectivement l'activité dans ces mêmes régions, renforçant ainsi l'intensité de la douleur ressentie.

 

Il est communément admis que les attentes des patients, qu'elles soient positives ou négatives, influencent directement leur perception des symptômes (1). Informer les patients sur les effets indésirables potentiels d'un médicament peut renforcer leurs anticipations négatives et conduire à une perception intensifiée des symptômes.

Mieux comprendre et maîtriser ces phénomènes pourrait permettre d'améliorer la prise en charge des patients en renforçant l'effet placebo recherché et en minimisant l'effet nocebo indésirable grâce à une communication adaptée. Il est essentiel d'adopter une approche équilibrée, évitant d'amplifier les craintes des patients tout en leur fournissant les informations nécessaires pour une prise en charge éclairée.

 

  1. Colloca L. The Nocebo Effect. Annu Rev Pharmacol Toxicol. 2024 Jan 23;64:171-190. doi: 10.1146/annurev-pharmtox-022723-112425. Epub 2023 Aug 16. PMID: 37585661; PMCID: PMC10868531.

Sinusite de l’enfant : antibiotiques ou pas ? 

Agnès Sommet (Toulouse)

Les recommandations actuelles de prise en charge des sinusites aigues de l’enfant reposent sur la prescription d’amoxicilline en cas de symptômes graves ou de la présence de facteurs de risque. La couleur de l’écoulement nasal ou la présence de bactéries pathogènes sont-ils des facteurs à prendre en compte pour prescrire des antibiotiques dans cette situation ? 

 

Une étude clinique randomisée en double insu (1), portant sur 510 enfants âgés de 2 à 11 ans avec des symptômes de sinusite aiguë persistants, a mesuré la différence en termes d’intensité des symptômes entre amoxicilline + ac. clavulanique versus placebo. Une stratification a été faite en fonction de la couleur de l’écoulement nasal et de la présence ou non d’H. influenzae, de S. pneumoniae ou de M. catarrhalis lors d’un écouvillon nasal réalisé à l’inclusion.

D’un point de vue statistique, la différence entre les groupes est significative, avec une intensité de symptômes à 10 jours de traitement mesurée par l’échelle Pediatric Rhinosinusitis Symptom Scale (PRSS) de 9,04 (8,71-9,37) après 10 jours d’antibiotique vs 10,6 (10,27-10,91) pour le placebo. Cette différence est toutefois minime d’un point de vue clinique, une différence de 3 points étant la valeur minimale cliniquement significative pour cette échelle (2). L’effet des antibiotiques n’était pas influencé par la couleur de l’écoulement nasal et ne restait statistiquement significatif qu’en cas d’écouvillon nasal positif.

 

N’oublions pas que la significativité statistique clinique ne suffit pas : la pertinence de l’effet clinique est encore plus importante pour les patients que nous prenons en charge !

 

  1. Shaikh N, Hoberman A, Shope TR, et al. Identifying children likely to benefit from antibiotics for acute sinusitis: a randomized clinical trial. JAMA 2023;330:349-58. DOI: 10.1001/jama.2023.10854.
  2. Shaik N, Wald E, Jeong JH, et al. Development and Modification of an Outcome measure to follow symptoms of children with sinusitis. J Pediatr. 2018;207:103–108.e1. DOI: 10.1016/j.jpeds.2018.11.016

Hormonothérapie substitutive : nécessité d’une réévaluation annuelle

Salima EL OUTMANI, Ariane OLIVAN et Christelle PHILIBERT (Montpellier)

Le traitement hormonal substitutif (THS) est indiqué chez les femmes ménopausées présentant des symptômes climatériques impactant la qualité de vie ou en cas de risque fracturaire lié à la carence estrogénique. Un examen clinique et une mammographie sont nécessaires avant prescription. Son initiation est recommandée avant 60 ans, dans les 10 ans suivant la ménopause, avec une réévaluation annuelle pour ajuster la dose minimale efficace.

Un bilan rigoureux est d’autant plus nécessaire après 65 ans, âge où les complications augmentent et où la prescription et la délivrance du THS doivent être soigneusement réévaluées (1).

Les hormones bio-identiques transdermiques sont à privilégier pour leur meilleur profil de sécurité, notamment en réduisant le risque thrombo-embolique associé aux œstrogènes oraux. En effet, le risque de phlébite et d’embolie pulmonaire est multiplié par quatre avec la voie orale, tandis que les données de la voie percutanée sont plus rassurantes.

Le THS est contre-indiqué en cas de cancer du sein et cancer hormonodépendants, pathologie thrombo-embolique, hémorragie génitale inexpliquée ou atteinte hépatique sévère.

En effet, les risques, qui augmentent avec la durée d’exposition, incluent :

  • Cancer du sein, de l’endomètre (si œstrogènes non associés à un progestatif), de l’ovaire (en cas de traitement de plus de 5 ans)
  • Accident vasculaire cérébral (surtout avec œstrogènes oraux) et thromboses veineuses (phlébite, embolie pulmonaire, surtout en bithérapie œstroprogestative)

Des traitements non hormonaux, comme l’Abufène (Bêta-alanine) peuvent être proposés en alternative pour atténuer les bouffées de chaleur, ainsi que des compléments alimentaires à base de plantes. Cependant certains de ces compléments (DHEA, phytoestrogènes,…) présentent les mêmes risques que les THS. (2,3)

 

  1. Haute Autorité de Santé - Traitements hormonaux de la ménopause
  2. Les traitements lors de la ménopause | ameli.fr | Assuré
  3. Les compléments alimentaires contre la ménopause - VIDAL

Hospitalisation pour effets indésirables médicamenteux en France : une sacrée source d’économie !

Claire de Canecaude (Toulouse)

En France, l'incidence des hospitalisations pour effet indésirable médicamenteux (EIM) a progressé de 136%, de 2006 à 2018 selon l’étude de pharmacovigilance (IATROSTAT) (1) réalisée en 2018 dans les unités médicales des hôpitaux publics par le Réseau Français des Centres Régionaux de Pharmacovigilance.

L’analyse avait permis d’estimer que 16,1% de ces effets compliqués d’hospitalisations auraient pu être évités (2) si les médicaments avaient été utilisés par les professionnels de santé et les patients conformément aux recommandations de bon usage.

Une évaluation économique partielle, du point de vue de l'assurance maladie française, a été réalisée (3) : le fardeau économique a été estimé à partir des données du PMSI en calculant le coût médical direct total par patient des effets indésirables médicamenteux sur une période de 3 mois à compter du 1er jour d'hospitalisation en incluant les séjours hospitaliers, les médicaments et les dispositifs médicaux hors GHM et les consultations externes et autres actes médicaux cliniques et techniques. La robustesse des résultats a été évaluée selon une méthode validée en pharmaco-économie et en appliquant les tarifs de 2023 au lieu de 2018.

Les résultats montrent que le coût moyen par patient est d’environ 6000 € (de 600 à 27 400 €) soit, par extrapolation, un coût total annuel d’1,3 milliards €/an au niveau national. Rappelons que les dépenses publiques totales de soins hospitaliers en France s’élèvent à 89 milliards €.

Ainsi, le coût de l’évitabilité représente un coût par patient de 4500 € (de 600 € à 11 000 €) soit un coût annuel évalué à environ 155 millions €.

Un beau challenge pour la pharmacovigilance pour continuer d’accompagner les professionnels de santé et les patients sur le bon usage des médicaments pour éviter des EIM. En effet, au-delà de sa mission première et essentielle de diminution de la morbi-mortalité iatrogénique, cela pourrait aussi permettre une économie non négligeable de 155 millions € par an !

 

Références :

  1. Laroche ML, Gautier S, Polard E, et al; IATROSTAT study group. Incidence and preventability of hospital admissions for adverse drug reactions in France: A prospective observational study (IATROSTAT). Br J Clin Pharmacol. 2023 Jan;89(1):390-400.
  2. Jonville-Béra AP, Saissi H, Bensouda-Grimaldi L, Beau-Salinas F, Cissoko H, Giraudeau B, Autret-Leca E. Avoidability of adverse drug reactions spontaneously reported to a French regional drug monitoring centre. Drug Saf. 2009;32(5):429-40.
  3. Laroche ML, Tarbouriech N, Jai T, Valnet-Rabier MB, Nerich V. Economic burden of hospital admissions for adverse drug reactions in France: The IATROSTAT-ECO study. Br J Clin Pharmacol. 2025 Feb;91(2):439-450.

Elargissement des indications des anti-PCSK9 : effets indésirables à surveiller

Liliane BATTY (Interne) - Claire de Canecaude (Toulouse)

L’évolocumab et l’alirocumab sont les deux seuls médicaments de la classe des anti-PCSK9. En empêchant la liaison de PCSK9 aux LDL-Récepteurs, les anti-PCSK9 augmentent le nombre de récepteurs disponibles pour capter le LDL-cholestérol circulant et ainsi permettre sa diminution. Pendant les essais cliniques, les inhibiteurs de PCSK9 étaient associés à des diminutions supplémentaires du taux de LDL-cholestérol d’environ 40 à 60 % en comparaison au placebo (1,2).

 

Ils ont obtenu leur AMM européenne en 2015 pour l’évolocumab et en 2016 pour l’alirocumab et sont commercialisés en France depuis 2018, en 3e intention (après les statines et l’ézétimibe) pour l’hypercholestérolémie et les dyslipidémies mixtes en particulier chez les patients adultes atteints d’une maladie athéroscléreuse établie et insuffisamment contrôlée malgré un traitement optimisé. Leur coût reste 50 fois plus important que celui des statines. Depuis, leurs indications et leur prise en charge ont évolué avec une utilisation possible chez les enfants et en monothérapie en cas d’intolérance avérée ou contre-indication aux statines et à l’ézetimibe, depuis avril 2022 pour l’évolocumab et mai 2024 pour l’alirocumab. Par conséquent, ils sont davantage utilisés et nous constatons une augmentation récente du nombre de questions et de signalements de leurs effets indésirables au Centre Régional de Pharmacovigilance de Toulouse.

 

Le profil des effets indésirables de ces deux médicaments est plutôt similaire. Ce sont des anticorps monoclonaux entièrement humains réduisant a priori le risque d'immunogénicité comparé aux anticorps murins ou chimériques.

Les réactions au site d'injection sont fréquemment rapportées, suivies des affections respiratoires, des symptômes pseudo-grippaux, puis des réactions cutanées (prurit et moins fréquemment l'urticaire).

Les douleurs musculosquelettiques représentent une part importante des effets indésirables signalés et constituent l’une des principales raisons d’arrêt du médicament. Une étude de disproportionnalité dans la base américaine de pharmacovigilance montre que les effets indésirables musculaires sont plus rapportés avec l’alirocumab (ROR 9.79 [8.83-10.85]) qu’avec l’évolocumab (ROR 5.59 [5.37-5.81]) par rapport à tous les autres médicaments de la base de données, bien que ces effets ne soient pas mentionnés dans la monographie de l’alirocumab (3). Comparé aux statines, ce risque reste moins élevé (ROR 20.17 [19.64-20.70] pour les statines). Cependant, une association des anti-PCSK9 avec les statines majore le risque par rapport à l’utilisation en monothérapie (3).

Enfin, des effets neurologiques et psychiatriques, comme des troubles du sommeil ou la dépression, ont été rapportés, bien que le lien n’ait pas été clairement établi. L’hypothèse qui prévaut est une implication de la diminution du cholestérol membranaire des cellules cérébrales (25% du cholestérol se situerait dans le cerveau, il serait également un des constituants principaux de la gaine de myéline) par les hypolipémiants (4).

 

Pour le moment les effets déclarés sont des effets indésirables attendus, mais il reste crucial de surveiller l’émergence potentielle de nouveaux effets indésirables rares au fil du temps en cas d’utilisation grandissante !

 

Références :

  1. McKenney JM, Koren MJ, Kereiakes DJ, et al. Safety and efficacy of a monoclonal antibody to proprotein convertase subtilisin/kexin type 9 serine protease, sar236553/regn727, in patients with primary hyper-cholesterolemia receiving ongoing stable atorvastatin therapy. J Am Coll Cardiol 2012;59:2344-53
  2. Giugliano RP, Desai NR, Kohli P, et al. Efficacy, safety, and tolerability of a monoclonal antibody to proprotein convertase subtilisin/kexin type 9 in combination with a statin in patients with hypercholesterolemia (laplace-timi 57): A randomised, placebo-controlled, dose-ranging, phase 2 study. Lancet 2012;380: 2007-17
  3. Ding L, Chen C, Yang Y, Fang J, Cao L, Liu Y. Musculoskeletal Adverse Events Associated with PCSK9 Inhibitors: Disproportionality Analysis of the FDA Adverse Event Reporting System. Cardiovasc Ther. 2022 Jan 25;2022:9866486.
  4. Di Mauro G, Zinzi A, Scavone C, et al. PCSK9 Inhibitors and Neurocognitive Adverse Drug Reactions: Analysis of Individual Case Safety Reports from the Eudravigilance Database.Drug Saf. 2021

Effets indésirables méconnus de l’hormonothérapie : interrogations récentes sous létrozole et leuproréline

Ariane Olivan, Sawsan El Hussein et Pascale Palassin (Montpellier)

L’hormonothérapie est une approche essentielle du traitement des cancers hormono-dépendants, comme certains cancers du sein. Le mécanisme d’action repose sur une inhibition de la sécrétion ou de la biosynthèse des œstrogènes pour limiter la prolifération tumorale. Les effets pléïotropes des œstrogènes permettent d’expliquer certains effets indésirables peu connus mais qui nécessitent une attention particulière en raison de leur retentissement clinique. En effet, nous avons récemment été interrogés concernant l’imputabilité de l’Enantone (leuropréline) sur des troubles de la marche associée à une faiblesse musculaire ainsi que de celle du létrozole sur l’apparition d’ulcérations gingivales.

 

La leuproréline est un analogue de synthèse de la GnRH naturelle inhibant la sécrétion d’estradiol gonadique. Son action conduit, en 3 à 4 semaines, à des taux sériques d’estrogènes équivalents à ceux observés après la ménopause. Ce mécanisme induit une involution réversible des tissus soumis à influence hormonale, tels l'endomètre et le sein notamment. De manière intéressante, il a été décrit que le déclin des estrogènes, notamment dans le contexte de ménopause, est impliqué dans la perte de masse et de force musculaire (1-3) permettant d’évoquer une implication possible de ce médicament dans la survenue de troubles moteurs à origine musculaire.

 

Par ailleurs, il a été démontré que les œstrogènes exercent un effet protecteur de la muqueuse buccale en empêchant les lésions de la barrière gingivale causées par le lipopolysaccharide de Porphyromonas gingivalis (4). Ainsi, une altération de la barrière épithéliale gingivale pourrait résulter d’une privation œstrogénique. Plusieurs études rapportent une augmentation du risque de parodontopathies et de phénomènes de résorption osseuse alvéolaire sous inhibiteurs de l'aromatase, en particulier lors d'une utilisation prolongée (5). Cette observation a conduit à la supposition d'une implication du létrozole, un inhibiteur non-stéroïdien réversible de l'aromatase, dans la survenue d’ulcérations gingivales. Les œstrogènes exercent également un effet anti-inflammatoire en inhibant la transcription des cytokines pro-inflammatoires. Ainsi, leur diminution, même en l'absence de pathogènes, peut entraîner une gingivite, avec une notion de « dose-seuil » identifiée chez l'animal (6).

 

Ces observations soulignent l'importance d’une vigilance accrue sur ces effets indésirables méconnus de l’hormonothérapie et d’une prise en charge adaptée afin d’optimiser la qualité de vie des patientes traitées.

 

  1. Kang MG, Kang M, Cho HJ, Min YS, Park JS. Efficacy of leuprorelin in spinal and bulbar muscular atrophy: a 3-year observational study. Neurol Sci. 2024 Aug;45(8):3853-3859.
  2. Kararigas G, Ebeling MC, Le G, Lai S, Cui C, Cui Q, Lowe DA. Transcriptomic Profiling Reveals 17β-Estradiol Treatment Represses Ubiquitin-Proteasomal Mediators in Skeletal Muscle of Ovariectomized Mice. J Cachexia Sarcopenia Muscle. 2025 Feb;16(1):e13698.
  3. Ikeda K, Horie-Inoue K, Inoue S. Functions of estrogen and estrogen receptor signaling on skeletal muscle. J Steroid Biochem Mol Biol. 2019 Jul;191:105375. doi: 10.1016/j.jsbmb.2019.105375. Epub 2019 May 5. PMID: 31067490.
  4. Huang F, Su Z, Zhou F, Wu Y, Li J, Ren B. Estrogen prevented gingival barrier injury from Porphyromonas gingivalis lipopolysaccharide. Infect Immun. 2025 Feb 20:e0041024. doi: 10.1128/iai.00410-24. Epub ahead of print. PMID: 39976433.
  5. Ustaoğlu G, Göller Bulut D, Üyetürk Ü, Uysal Ö. Evaluation of periodontal health in breast cancer patients undergoing tamoxifen or aromatase inhibitors drugs therapy: A cross-sectional study. Spec Care Dentist. 2021 Jan;41(1):41-48. doi: 10.1111/scd.12538. Epub 2020 Nov 6. PMID: 33156573.
  6. Reynolds MA, Aberdeen GW, Pepe GJ, Sauk JJ, Albrecht ED. Estrogen Suppression Induces Papillary Gingival Overgrowth in Pregnant Baboons. Journal of Periodontology. 2004;75(5):6931701. 

Impact des antidépresseurs sur le poids : un essai émulé

Jean-Luc Faillie (Montpellier)

Les effets des antidépresseurs sur la prise ou perte de poids varie selon les médicaments. Une étude récente publiée dans Annals of Internal Medicine a exploré cette question en utilisant la méthode de l'essai émulé (target trial emulation).

 

L'essai émulé est une méthode de plus en plus utilisée en pharmaco-épidémiologie pour estimer les effets des interventions médicamenteuses à partir de données observationnelles tout en réduisant les biais. Dans cette étude, les chercheurs ont reconstitué un essai clinique « cible » en utilisant les données des dossiers médicaux de 183 118 patients américains entre 2010 et 2019. L’objectif était de comparer les changements de poids induits par huit antidépresseurs couramment prescrits. Pour limiter les biais de confusion, les chercheurs ont utilisé des modèles statistiques appelés modèles structurels marginaux avec pondération par l’inverse de la probabilité (IPW) : cette technique permet de prendre en compte les facteurs de confusion mesurés, tels que l’âge, le sexe ou les comorbidités, en attribuant un poids statistique à chaque patient pour simuler une randomisation.

Les résultats montrent des différences modestes mais significatives dans la prise de poids après six mois de traitement. Par rapport à la sertraline, considérée comme référence, l’escitalopram, la paroxétine et la duloxétine étaient associés à une prise de poids plus importante, avec des différences respectives de 0,41 kg, 0,37 kg et 0,34 kg. La venlafaxine et le citalopram induisaient également une prise de poids, mais dans une moindre mesure (0,17 kg et 0,12 kg respectivement). La fluoxétine n’a pas montré de différence significative par rapport à la sertraline, tandis que le bupropion était associé à une perte de poids moyenne de 0,22 kg.

 

Attention, un essai émulé n’aura jamais le niveau de preuve d’un essai randomisé ! Cette méthode ne peut pas éliminer tous les biais notamment ceux liés à des facteurs non mesurés, comme les habitudes alimentaires ou l’activité physique. Malgré ces limites et bien que les différences de variation pondérale observées soient modestes, cette étude peut aider les cliniciens dans le choix d’un antidépresseur, en particulier pour les patients préoccupés par la prise de poids.

Référence :Petimar J, Young JG, Yu H, et al. Weight Change After Initiating Antidepressant Treatments: A Target Trial Emulation Study. Ann Intern Med. 2024 Aug;177(8):993-1003. doi: 10.7326/M23-2742.

Symptomatologie TDAH chez les étudiants et usage de psychostimulants : être plus vigilant !

Camille Thinet (étudiante M1), Maryse Lapeyre-Mestre (Toulouse)

Le Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) représente le plus fréquent des troubles du neurodéveloppement avec une prévalence mondiale de 3,4% chez l’enfant et l’adolescent et 2% chez l’adulte . Il serait un facteur de risque de l’usage de substances illicites et des troubles liés à celles-ci. Les chercheurs du programme i-Share (Internet-based Students Health Research https://www.i-share.fr/) ont exploré les associations éventuelles entre la symptomatologie du TDAH dans une population étudiante française et la consommation de psychostimulants illicites (1). I-share est une cohorte prospective initiée en 2013 toujours active aujourd’hui. Les auteurs ont analysé les données de 4270 étudiants ayant complété un questionnaire de suivi jusqu’en 2020. La symptomatologie TDAH était estimée par l’auto-questionnaire ASRS à l’inclusion (2) et la consommation auto-rapportée de cocaïne, amphétamines et ecstasy était mesurée à l’inclusion et 1 an après. 

A l’inclusion, 4,5% des étudiants (79,7% de femmes, 20,2 ans en moyenne [ET 2,2]) présentaient un haut niveau de symptomatologie TDAH (score ASRS>18) et 8,3% rapportaient un an après l’usage d’au moins un psychostimulant (6,3% ecstasy, 3,9% cocaïne, 2,4% amphétamines). Après ajustement sur plusieurs facteurs de confusion (dont alcool/tabac ou antécédents de troubles anxieux ou de la prise alimentaire), un ASRS initial élevé était significativement associé à l’utilisation de psychostimulants (Odds Ratio 2,42 ; intervalle de confiance à 95% 1,51–3,8), que ce soit chez les sujets naïfs (pour la cocaïne, 4,67  [1,64–11,42]) ou chez les consommateurs à l’inclusion (pour les amphétamines, OR= 2,5 [1,05–6,49]).

 

Malgré les limites inhérentes à cette étude (biais de participation, auto-questionnaires), ces résultats soulignent l’intérêt d’une attention spécifique à la population étudiante pour la mise en place d’actions préventives adaptées et du repérage d’une symptomatologie TDAH chez les usagers de psychostimulants illicites pour adapter leur prise en charge médicale.

 

  1. Jean FAM, et al. Association between ADHD symptoms and illicit stimulants use following 1 year among French university students of the i-Share cohort. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2024 May;59(5):887-897. https://doi.org/10.1007/s00127-023-02499-9
  2. Kessler RC, et al. The World Health Organization Adult ADHD Self-Report Scale (ASRS): a short screening scale for use in the general population. Psychol Med. 2005 Feb;35(2):245-56. https://doi.org/10.1017/s0033291704002892

Tramadol pendant la grossesse : de nouvelles données

Laurane Delteil et Isabelle Lacroix (Toulouse)

Le tramadol est un analgésique opioïde indiqué dans le traitement des douleurs modérées à sévères. Deux études publiées sur ses effets pendant la grossesse ont donné des résultats contradictoires concernant le risque de malformations congénitales ou d’interruption spontanée de grossesse. 

 

Nous avons donc mené une étude dans notre base de données EFEMERIS (www.efemeris.fr) qui croise, depuis 2004, les prescriptions médicamenteuses et les issues de grossesse des femmes enceintes de Haute-Garonne. EFEMERIS incluait au moment de l’étude 166 664 femmes enceintes. Nous avons comparé 1 602 femmes exposées au tramadol pendant leur grossesse (1,0% de notre population) à 6 311 femmes exposées à la codéine (population avec des caractéristiques proches) et à 158 426 femmes non exposées à ces deux médicaments. 

La proportion de prescriptions de tramadol aux femmes enceintes a été multipliée par 7 entre 2004 et 2020. L’exposition au tramadol durant le premier trimestre n’a pas été associée à un risque augmenté d’anomalies congénitales. Cependant, un risque accru d’interruption spontanée de grossesse a été observé par rapport aux femmes exposées à la codéine (HRa=2,23 [1,64-3,03]) et aux femmes non exposées (HRa=1,86 [1,46-2,37]). 

 

Cette étude apporte des données rassurantes concernant le risque d’anomalies congénitales majeures lors d’exposition au tramadol au cours du premier trimestre. Nous ne pouvons conclure à propos du risque d’interruption spontanée de grossesse en raison de biais potentiels (notamment d’indication) dans cette étude. Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ou infirmer ce risque. En cas d’utilisation de façon chronique et jusqu’à la fin de la grossesse, il faut prévoir une surveillance du nouveau-né en raison d’un risque de syndrome de sevrage.

Pratique du Chemsex : qui, quand, comment ?

Monica Galvez-Pacoricona (étudiante M1), Maryse Lapeyre-Mestre (Toulouse)

Le chemsex, pratique émergente définie comme la combinaison d’activités sexuelles et de consommation de substances psychoactives, représente une problématique croissante de santé publique. Elle est souvent considérée comme concernant spécifiquement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HAH). Les données d’addictovigilance française avaient d’ailleurs identifié 235 cas pour la période 2008-2017, concernant exclusivement des hommes (38 ans en moyenne), impliquant en plus de l’alcool, cathinones (71%), cocaïne (31%), GHB/GHL (15%), poppers (14%), cannabis (11%), benzodiazépines (6%), avec 10% de décès (1). 

 

Des chercheurs italiens ont mené une enquête en ligne sur cette pratique (2), via une diffusion sur les réseaux sociaux et les sites associatifs impliqués dans ce domaine. Parmi les 1 828 répondants (61% de femmes), 13,6 % déclaraient avoir pratiqué le chemsex, dont 1/3 de femmes. Les substances les plus signalées comme améliorant les expériences sexuelles étaient les poppers, le cannabis et le GHB. La cocaïne et l’alcool étaient plus souvent mentionnés comme aggravant l’expérience. La moitié des sujets rapportaient une perte de contrôle au cours des sessions, 40% l’absence de protection contre les MST et 5% pratiquaient le slam (injection intraveineuse). Parmi les chemsexers, 70% souhaitaient plus d’informations sur les risques liés au chemsex et 32% souhaitaient consulter un addictologue. Cette étude italienne met en évidence l’urgence de concevoir des campagnes de prévention et de promouvoir des services spécialisés offrant une information claire et un accompagnement adapté aux différentes populations concernées, y compris les femmes. Cette problématique est également en augmentation en France avec une adaptation progressive des structures (3).

 

  1. Batisse A, Eiden C, Deheul S, Monzon E, Djezzar S, Peyrière H. Chemsex practice in France: An update in Addictovigilance data. Fundam Clin Pharmacol. 2022 Apr;36(2):397-404. https://doi.org/10.1111/fcp.12725
  2. Bellomi F, Manenti L, Gheda L, Bergamini A, Guarneri L, Rosa J, Savoldi M, Vita A. Prevalence and Characteristics of Chemsex: A Cross-Sectional Observational Study. Eur Addict Res. 2024;30(1):43-51. https://doi.org/10.1159/000534898
  3. https://www.ofdt.fr/publication/2024/chemsex-retour-sur-15-ans-d-usages-de-drogues-en-contexte-sexuel-2421 

Evolution des décès par troubles de l’usage de substances à l’horizon 2040

Mathieu Soares (étudiant Master 1), Maryse Lapeyre-Mestre (Toulouse)

Au cours des dernières décennies, et notamment avec la crise des opioïdes en Amérique du Nord, la mortalité liée aux troubles de l’usage de substances (TUS) a considérablement augmenté. 

Des chercheurs coréens ont analysé la base de données des causes de mortalité enregistrées par l’Organisation Mondiale de la Santé, en extrayant le nombre de décès liés aux TUS (codes F11-16, F18-19, X42 et T40 de la Classification Internationale des Maladies-10), par sexe et groupes d’âge, dans tous les pays avec données disponibles de 1990 à 2021. Les taux de mortalité ont été stratifiés selon les zones géographiques, âge et sexe, et analysés selon le niveau socio-économique (estimé par HDI (Human Development Index), SDI (Socio-demographic Index), GGI (Gender Gap Index), coefficient de Gini). Le taux de mortalité TUS a fortement progressé, de 1,84 décès par million d’habitants (intervalle de confiance 95% (0,44-4,12)) en 1990 à 13,09/106 [10,74–15,43] en 2021 (73 pays avec données disponibles), de façon plus prononcée dans les pays les plus riches (multiplication par 12 de la mortalité TUS). 

Cette mortalité a augmenté partout (principalement Afrique et Amérique du Nord), à l’exception de l’Amérique latine et des Caraïbes. De façon globale, cette mortalité est masculine, avec une évolution plus marquée pour les 25-64 ans. La modélisation tenant compte de toutes les données montre une progression dans le futur, passant de 25,95/106 (24,72-27,28) en 2021 à 38,45/106 (30,48-49,33) en 2030 et 42,43/106 (23,67-77,77) en 2040, soit près d’un doublement par rapport à la situation actuelle. Devant l’augmentation de tous les indicateurs sur le recours aux substances psychoactives dans le monde, et malgré les limites des données utilisées, cette étude constitue un signal d’alarme majeur.

 

  1. Kim S, et al. Global, regional, and national trends in drug use disorder mortality rates across 73 countries from 1990 to 2021, with projections up to 2040: a global time-series analysis and modelling study. EClinicalMedicine. 2024 Dec 17;79:102985. https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2024.102985

Mésusage de la buspirone : une pratique émergente ?

Paul Mathieu (Interne), Margot Lestienne, Céline Eiden, Hélène Peyrière (Montpellier)

La buspirone est un médicament anxiolytique non dérivé des benzodiazépines indiqué dans le traitement de l'anxiété. Son action passe principalement par des propriétés sérotoninergiques (agoniste présynaptique des récepteurs 5HT1A et agoniste partiel des récepteurs postsynaptiques 5HT1A). C'est également un antagoniste présynaptique des récepteurs de la dopamine (D2, D3 et D4).

Jusqu'à présent, la buspirone est considérée comme présentant un faible risque de troubles de l'usage (1). Récemment, deux cas de mésusage par voie nasale de la buspirone ont été notifiés au centre d’Addictovigilance de Montpellier.

La littérature récente rapporte trois cas de mésusage de buspirone par administration intranasale (2 femmes/1 homme, âge moyen 51 ans) (2,3). Dans tous les cas, des antécédents psychiatriques, addictologiques et/ou juridiques étaient décrits. Les effets recherchés étaient sédatifs et/ou relaxant. Dans ces cas, les consommations avaient débuté en prison.

La pharmacologie de la buspirone peut expliquer ce risque d'abus :

i) La biodisponibilité de la buspirone par voie orale est faible (environ 4 %). L'administration intranasale entraîne une absorption plus rapide du médicament par transport direct de la muqueuse nasale au cerveau et une biodisponibilité accrue ;

ii) Par voie intranasale, l'effet relaxant lié aux propriétés sérotoninergiques peut être renforcé, de même que les effets stimulants liés aux propriétés dopaminergiques.

 

Comparée aux anxiolytiques de type benzodiazépine, la buspirone n'est pas considérée comme ayant un potentiel d'abus important. Cependant, ces observations sont récentes, ce qui peut être le signe d'une pratique émergente à surveiller.

 

  1. Apeldoorn S, et al. Worsening psychosis associated with administrations of buspirone and concerns for intranasal administration: A case report. Frontiers in Psychiatry, 2023. DOI: 10.3389/fpsyt.2023.1129489.
  2. Mezher AW, et al. Buspirone Abuse: No safe haven. Psychosomatics. 2019; 60: 534-535.DOI: 10.1016/j.psym.2018.12.008
  3. Swigart A, et al. Buspirone abuse by insufflation: A case report. J Clin Psychopharmacol 2021; 41 : 89. DOI: 10.1097/JCP.0000000000001309

Complications psychiatriques liées à l’abus de protoxyde d’azote : attention un effet indésirable peut en cacher un autre !

Tanguy Taillefer de Laportalière et Maryse Lapeyre-Mestre (Toulouse)

Les complications liées au mésusage du protoxyde d’azote (N2O) ne cessent d’augmenter, avec, au premier plan, les complications neurologiques et thrombo-emboliques (1,2). Les atteintes psychiatriques sont moins bien décrites. Nous souhaitions attirer l’attention sur une cascade de manifestations neuropsychiatriques graves observée chez une femme de 20 ans, présentant un mésusage chronique de N2O (3). En 2022, elle se présente une première fois aux urgences pour une neuropathie périphérique avec hyperhomocystéinémie sans carence en vitamine B12 suite à des consommations excessives de N2O (≈ 4800g/semaine). En 2023, elle revient dans un tableau franc de catatonie, carencée en vitamine B12 et avec hyperhomocystéinémie, dans un contexte de consommation de 1 à 2 cartouches par semaine. Les symptômes sont spontanément résolutifs en 24h pendant l’hospitalisation, sans lorazépam. Neuf mois après cet épisode, elle présente un tableau d’épisode psychotique aigu (EPA), lui aussi spontanément résolutif en 24h, suite à des consommations importantes les jours précédents. Quelques mois plus tard, la patiente présente de nouveau un EPA similaire dans les mêmes conditions.

Quelques pistes pharmacologiques pourrait expliquer cette cascade : la carence en vitamine B12 est une cause connue de catatonie ; l’homocystéine est un agoniste des récepteurs NMDA au glutamate qui peut être neurotoxique. Le glutamate est impliqué dans la physiopathologie de la catatonie où des antagonistes NMDA peuvent être proposés (4). Plusieurs cas d’EPA induits par le N2O sont également décrits. Ce cas souligne les possibles conséquences psychiatriques du mésusage de N2O, soulignant l’hyperhomocystéinémie comme un biomarqueur clé. Enfin, pour cette patiente dans un déni total de sa consommation problématique de N2O et refusant les propositions de diminution de sa consommation, le pronostic semble peu favorable.

 

  1. French Association of Addictovigilance Centres. Warning on increased serious health complications related to non-medical use of nitrous oxide. Therapie. 2021 Sep-Oct;76(5):478-479. https://doi.org/10.1016/j.therap.2020.01.002
  2. Guerlais M, Deheul S; FAN; Le Boisselier R, Victorri-Vigneau C. Non-medical nitrous oxide misuse: From identifying a signal to unprecedented addictovigilance network communication. Therapie. 2024 Oct 23:S0040-5957(24)00173-2. https://doi.org/10.1016/j.therap.2024.10.057
  3. Taillefer de Laportalière T, Redon M, Roussin A, Willemet E, Very E, Olivier J, Lapeyre-Mestre M. First episode of catatonia followed by a psychotic episode related to chronic nitrous oxide use: A case report. Drug Alcohol Rev. 2025 Feb 3. https://doi.org/10.1111/dar.14012
  4. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-10/2021_defiscience_pnds_syndrome_catatonique_texte_pnds.pdf

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