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Recherche et lymphœdème secondaire : cette recherche collaborative est le travail d’une vie

Florent Morfoisse commence sa carrière en 2012 à l’Institut national de la santé et de la recherche médical (Inserm) à Toulouse. Aujourd’hui, il est chargé de recherche dans l’équipe de Barbara Garmy Susini, chercheuse et directrice d’équipe, et de Anne-Catherine Prats, co-responsable d’équipe. Sa recherche porte sur la pathologie du lymphœdème secondaire.
(Rencontre avec Florent Morfoisse).

Publié le

Service : Médecine Vasculaire

Comment votre sujet de recherche est-il apparu ?

En 2012, j’ai commencé ma carrière sous la direction de Barbara Garmy Susini, directrice d’équipe à l’Inserm. Mes recherches portaient alors sur les cellules tumorales et la manière dont elles interagissaient avec les vaisseaux lymphatiques pour former des métastases. De fil en aiguille, via cette sphère du cancer, Barbara m’a présenté la pathologie du lymphœdème secondaire. Elle m’a posé cette question qui allait façonner ma carrière de scientifique : « Est-ce que tu veux bosser là-dessus ? » J’ai dit oui.


Pourquoi avoir axé votre recherche sur les lymphœdèmes secondaires ?
 

Pour plusieurs raisons. La première étant que les patients ayant un lymphœdème secondaire sont trop souvent dans l’errance diagnostique - moins aujourd’hui qu’en 2015 heureusement note le chercheur. J’ai trop souvent entendu cette phrase : « On a guéri votre cancer, mais on n’a pas de solution concernant le lymphœdème qui peut apparaitre après une chirurgie invasive. » A l’époque, il m’a semblé que les chercheurs qui travaillaient sur le cancer étaient nombreux. Que je sois là ou ailleurs, ça n’aurait peut-être pas fait une grosse différence. En revanche, on était tellement peu nombreux à faire des recherches sur la pathologie du lymphœdème secondaire que je me suis dit que ça, ça pourrait faire la différence. Notre communauté est nettement plus réduite que celle du cancer. J’ai donc commencé mes recherches sur cette pathologie lors de ma dernière année de thèse. 

 

Votre recherche porte sur quelle étude précisément ?
 

Mon projet porte principalement sur l’étude de la matrice extra-cellulaire pathologique dans le lymphœdème ainsi que sur les protéines qui participent au remodelage pathologique du tissu. Après ma thèse, j’ai fait un post-doctorat en Belgique. Là, j’ai compris le lien entre vaisseaux lymphatiques et matrice extra-cellulaire. J’ai compris que les lymphœdèmes secondaires étaient des pathologies fibrotiques. Les patients parlent beaucoup de fibrose. Ils évoquent cette douleur qu’ils ont dans leur membre. D’un point de vue scientifique, on ne savait pas trop de quoi la fibrose d’un lymphœdème était composée ni à quoi elle était due. De retour en France, cette question me taraudait : « C’est quoi la fibrose dans le lymphœdème ? Comment ça marche ? ». C’est là que, entouré d’étudiants en master et de doctorants, j’ai lancé mon projet sur les lymphœdèmes secondaires. Le partenariat avec l’unité de chirurgie du CHU de Rangueil nous a permis de disposer des échantillons de lymphoedèmes secondaires sur lesquelles valider les résultats obtenus chez la souris.

Je voulais comprendre le mécanisme de la fibrose au sein du lymphœdème. D’où mon travail sur la protéine LOX. Entre 2020 et 2024, mon équipe a précisé les mécanismes de la fibrose. Parmi toutes les protéines de la matrice extra-cellulaire (plus de 300 chez l’Homme), nous avons montré que le collagène de type 1 en particulier influençait la rigidité et la dureté du tissu, diminuait l’efficacité des thérapies décongestives et perturbait les lymphatiques. Au bout de ces quatre années de recherches, nous avons obtenu des résultats solides démontrant que la LOX est une protéine importante dans la fibrose du lymphœdème. Aujourd’hui, pour finir le travail de recherche et publier (c’est le but de tous chercheurs), on essaye de caractériser comment la LOX et la matrice impactent la fonction des vaisseaux lymphatiques à l’échelle de la cellule. Cette recherche est le travail d’une vie.

 

 

De la recherche au médicament : quels sont les enjeux ici ?

En 2024, on en est encore au stade de la recherche. Notre objectif ? Qu’elle débouche sur un traitement potentiel, ce qui peut prendre des années. La prochaine étape consiste à faire valider notre recherche par la communauté scientifique internationale experte du domaine, sorte de système d’évaluation faite par nos pairs. Une fois validée, notre recherche sera publiée. Chercheurs et cliniciens pourront alors trouver ensemble les moyens de dégrader la matrice fibrotique, pathologique et rigide pour permettre aux vaisseaux lymphatiques de croitre et de retrouver leurs fonctions de drainage perdues. Ici, on réfléchit en terme d’années. Car de la recherche à un développement de médicaments, on est sur des délais qui vont de dix à quinze voire vingt ans. C’est d’autant plus vrai que la recherche portant sur les lymphœdèmes s’est mise en place très récemment comparé à d’autres maladies où la communauté scientifique poursuit ses recherches depuis plusieurs dizaines d’années (cancer, Sida etc.). Ici, on ne travaille pas seul. Notre travail est un travail collaboratif et de longue haleine. 


Selon vous, on ne peut pas dissocier un lymphœdème secondaire de son micro-environnement. Pour quelles raisons ?
 

Je pense que les mentalités doivent évoluer. La communauté spécialisée se doit de considérer le lymphœdème comme une pathologie multi-factorielle où il faut à la fois traiter les vaisseaux lymphatiques mais où il faut aussi traiter leur environnement : matrice, fibrose, tissus adipeux, inflammation. J’aimerais insister sur cet aspect micro-environnemental parce que c’est ce que la communauté a constaté. Au départ, le lymphœdème était envisagé comme un simple problème de drainage lymphatique. La solution apparaissait tout aussi simplement : la lymphe s’accumule, on doit donc drainer les tissus. Les massages lymphatiques et les bandages sont utiles car ils maintiennent le lymphœdème, mais cela ne suffit pas car dans le cadre du lymphœdème, le tissu environnant s’est modifié. Il va y avoir une inflammation, une accumulation de cellules graisseuses, une accumulation de fibrose, de matrice extra-cellulaire. Et plus le lymphœdème évolue, plus l’environnement se durcit, plus il a du mal à retrouver sa souplesse d’origine. Et même si on arrive à restaurer les réseaux lymphatiques, qui vont drainer les liquides, ces réseaux n’arriveront pas à drainer cette accumulation de cellules graisseuses, à drainer ces fibres de collagène denses et rigides. Ils ne pourront pas tout faire eux-mêmes. Comme toute pathologie complexe, si traitement il y a ce sera un traitement qui devra cibler plusieurs éléments en même temps pour normaliser l’ensemble des symptômes. 



En quoi ces facteurs sont-ils interconnectés ? 
 

Parce qu’un lymphœdème est composé de 4 facteurs et que ce sont ces 4 éléments qui constituent la maladie. On ne peut pas laisser un seul de ces facteurs de côté :
- le problème de drainage lymphatique
- l’inflammation chronique
- l’accumulation de tissus adipeux (cellules graisseuses)
- la fibrose

 

En partant de ce principe, on sait qu’utiliser des facteurs de croissance pour restaurer les lymphatiques pourra certainement fonctionner sur des lymphœdèmes au stade précoce car on a simplement du liquide à drainer. Mais dans des stades avancés, en tenant compte des 4 éléments cités, il faudra coupler ce traitement (“les vecteurs apportant les facteurs de croissance”) avec des molécules ou d’autres approches pour éliminer la fibrose et permettre aux vaisseaux lymphatiques de grandir à nouveau. Car pour que ces vaisseaux poussent et grandissent  dans leur tissu environnant, ils doivent se faire de la place. Ils doivent d’abord dégrader la matrice extra-cellulaire qui est autour. Le problème est que ces vaisseaux ne peuvent plus détruire cette fibrose car elle est tellement dure qu’elle en est devenue indégradable. Les vaisseaux sont piégés. On les dit « encapsulés » dans un environnement devenu trop rigide qui les empêche de croitre à nouveau. C’est essentiellement pour cette raison que les lymphœdèmes avancés nécessitent une stratégie en plusieurs étapes et en plusieurs temps. Ce n’est pas seulement une cause avec un seul type cellulaire qu’il faudrait cibler mais plusieurs facteurs à la fois, chacun interagissant entre eux. La bonne nouvelle c’est qu’il y a de plus en plus de jeunes chercheurs qui axent leur recherche sur cette pathologie. Ces dernières années, il y a eu une prise de conscience. Je trouve que ça va dans le bon sens même si je comprends que pour les patients ça ne va jamais assez vite. Oui, il y a encore trop d’errance, mais ça va dans le bon sens, conclut le chercheur.

 

Entretien réalisé par Laurence Toulet Delaporte

 

 

De bas en haut, de gauche à droite : Anne-Catherine Prats et Barbara Garmy Susini, Florent Morfoisse, Roxane Sylvestre se situe derrière Florent, elle est sa doctorante, Eric Lacazette, Nathalie Laugero, Elisa Balzan, Halyna Loi, Lena Verdu, Ana Alvarez, Laetitia Sano, Emilie Gasperoni, Laura Vincelet, Ethan Guérin, Enzo Valentin, Pierre-Jean Bordignon, Thomas Busiakiewicz.
 

 

 

« Traitements moléculaires & lymphœdèmes secondaires », conférence proposée par Florent Morfoisse lors de la 2e Journée du PFL organisée le 12 mars 2024 au Novotel Paris.