A LIRE

Témoignage : « J’ai atteint le sommet de la montagne »

Atteinte d’un lymphœdème primaire aux deux jambes depuis ses 25 ans, diagnostiquée à 42 ans, Delphine Watieaux entreprend il y a un an de faire le chemin de Compostelle. Après avoir eu des doutes, des douleurs mais aussi et surtout une grande détermination, elle y parviendra en deux fois. En tout, elle aura parcouru près de 1500 km à pied. Rencontre étonnante avec une femme incroyable.

Publié le

Service : Médecine Vasculaire

" C’est le 25 mai 2023 que je suis partie la toute première fois sur le chemin de Compostelle commence d’emblée à raconter Delphine. Avec mon meilleur ami Sébastien, j’ai marché pendant dix jours, jusqu’au 3 juin. Sébastien, c’est mon binôme. Il m’a toujours accompagnée. Il me connaissait et trouvait que je n’allais pas bien. Il savait que je n’avais pas confiance en moi, que je ne parlais plus que de ma maladie et que je ne vivais qu’à travers elle. La maladie prenait le dessus. Il faut dire que j’étais très en colère. Pendant des années, depuis l’âge de mes 25 ans, j’ai souffert dans mon corps. Mes deux jambes avaient gonflé et les médecins se contentaient d’une réponse laconique : « surélevez vos jambes car vous avez un problème veineux, mangez moins et ça ira mieux » Alors, oui, avant de partir sur le chemin de Compostelle, je n’allais pas bien.

« Viens ! Je t’emmène sur le chemin m’a dit un jour mon ami. Tu verras que tu es capable de marcher 10, 15 ou 20 kilomètres par jour même avec ton lymphœdème. » Au départ, je doutais de pouvoir faire ces 200 premiers kilomètres à pied. Et pourtant !

Nous marchions 20 kilomètres par jour. Dès le début, j’ai associé la marche à un chemin initiatique. Je coordonnais mon esprit à mon corps. Je me décidais enfin à l’accepter tel qu’il était. Je me voyais vivre ma vie en tant que femme et non pas en tant que malade ayant un lymphœdème primaire sur les deux jambes. 

20 kilomètres par jour. J’ai réalisé que j’étais capable de bien plus ! Au bout de dix jours, Sébastien a dû rentrer et j’ai continué seule jusqu’à Figeac. Puis j’ai dû arrêté à mon tour. Il commençait à faire chaud et avec mon lymphœdème, ce n’était plus possible de continuer. "

 

Une force me poussait toujours plus loin sur des kilomètres et des kilomètres…

Une fois rentrée chez moi, le manque de la marche m’a gagné instantanément. C’était terrible ! J’étais complètement frustrée. Je n’avais qu’une idée en tête : repartir ! Parce que plus on marche, plus en a envie de marcher. C’est vraiment une espèce d’adrénaline qui se met en route au niveau du corps et je ne pensais plus qu’à ça. Les gens m’avaient parlé de cet espèce de syndrome qui dit que « le chemin t’appelle ». Je trouvais ça idiot, un chemin ne peut pas appeler (rires). Maintenant j’en comprends toute la signification dans mon corps même. On veut toujours voir plus loin, derrière chaque mont, derrière chaque virage, l’envie nous prend d’aller toujours plus loin. Chaque paysage est différent, la découverte est régulière et unique à la fois. On se sent tellement vivant ! 

 

"Plus je marchais, plus je me sentais libérée"

Alors je suis repartie. Seule et pour plusieurs semaines. C’était le 25 septembre. Ma détermination était que même avec une maladie rare aux jambes on peut faire autant de kilomètres. A chacun son rythme. Moi, je marchais sur 20 km par jour, mais ça peut être moins ou plus. En partant du Puy-en-Velay je voulais aller jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port pour terminer le chemin de Compostelle sur la partie française. Cela représentait 750 kilomètres. Et plus je marchais, plus je me sentais à mon aise. Plus je marchais, plus je m’allégeais au niveau du poids. Plus je marchais, plus je rencontrais de monde. Car on n’est jamais seul. Il y a toujours un pèlerin attentif, bienveillant pour écouter ou avec qui discuter. Je partageais mes soirées avec eux. En revanche, je marchais seule. Parce que si je faisais ça, c’était pour que je retrouve ma confiance en moi, que je m’accepte avec la pathologie. Marcher seule m’a permis de chercher au plus profond de moi des ressources que je ne connaissais pas. Et puis j’ai fait de la méditation active : penser au moment présent pour assurer chaque pas : inutile de dire que je devais à tout prix éviter de me blesser. J’avais besoin d’être seule pour me dire « oui, j’en suis capable ». C’est comme ça que j’ai retrouvé ma confiance. Parce que marcher seule avec ce que j’ai aux membres inférieurs demande de la détermination. Parfois, oui, j’ai douté bien sûr ! Je me disais que je n’y arriverai jamais. Mais je m’arrêtais, je me reposais et je reprenais la route ! Ça a été une véritable libération.

 

“1500 km parcourus : un avant et un après bien-sûr !”

La deuxième partie de mon voyage m’a finalement emmenée plus loin, jusqu’en Espagne. Cette étape a été longue. Elle a duré 68 jours sur 1285 km. En tout, en deux fois, j’ai parcouru à pied 1500 kilomètres. Là, j’ai réalisé toutes les possibilités que le corps humain peut mettre en place : 1500 kilomètres à pied, seule, en moins d’un an, avec une maladie au niveau des deux jambes. C’est juste incroyable, s’exclame la marcheuse encore abasourdie. Alors, oui, c’est sûr, je me sens beaucoup plus forte qu’avant. Aujourd’hui, j’ai 47 ans. Bien sûr, il y a un avant et un après. Bien sûr, j’ai passé le cap. J’ai compris que la maladie n’a pas gagné sur moi. J’ai été au bout de quelque chose. Aujourd’hui, je suis déterminée. Une détermination qui fait que je n’ai plus le droit d’abandonner pour rien. Avant je me posais trop de questions. Maintenant j’avance et j’ai moins peur. J’ai gagné en confiance en moi. 

 

“On a passé la montagne : jy suis arrivée !”

Les dix derniers jours de son périple, Sébastien rejoint Delphine pour l’accompagner dans cette étape réputée difficile. Situé à 1 056 mètres d’altitude, l'étape de pèlerinage entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Roncevaux est l'une des plus emblématiques du chemin de Compostelle. Longue de 25 km, l’étape est aussi l'une des plus belles et des plus enrichissantes. Il aura fallu 11 heures de marche en dénivelé positif pour que les deux compères arrivent au sommet. C’était costaud, se confiera Delphine. Le matin, on part de France, le soir, on se couche en Espagne. On a passé la montagne. J’y suis arrivée. Sébastien m’a accompagné pendant une centaine de kilomètres jusqu’à Pampelune. Je suis ensuite repartie seule sur le chemin du côté de l’Espagne. Pour terminer le chemin. Sébastien m'attendait à Saint-Jacques de Compostelle. Il a filmé mon arrivée. Et de me dire : « C’est énorme, ce que tu as fait ». 

Qu’ajouter d’autre ?

 

Sur le chemin de Compostelle : comment parler de lymphœdème
Mon besoin de communiquer et de sensibiliser les professionnels de santé était puissant dès le début. Je voulais aller à la rencontre des pharmaciens et des professionnels de santé installés sur la route, dans les villages où je m’arrêtais le soir pour dormir. J’avais emmené avec moi des dépliants, je laissais mes coordonnées expliquant ce qu’est un lymphœdème et comment on le diagnostique, les gestes à faire au quotidien… Je discutais avec les pèlerins que je rencontrais. Aujourd’hui, je veux croire que j’ai alerté sur cette pathologie. Je les ai sensibilisés tout au long de mon aventure pédestre. 

Mon message
“N’ayez pas peur de réaliser vos rêves ! Oui, avec cette pathologie, on subit le regard des autres. Mais là, sur le chemin, j’ai gagné énormément en confiance parce que les gens étaient bienveillants. Et quand le soir j’enlevais mes bas de contention pour enfiler ma botte en mobiderme, ils me posaient des questions, ils s’intéressaient à moi sans me juger. Et pendant la journée, ils étaient là. Ils n’étaient pas critiques, ils m’aidaient en prenant mon sac à dos lorsque je fatiguais, ils m’aidaient à franchir des marches trop hautes…”

Dans mon sac à dos j’ai emporté : 3 Tshirts, 3 pantalons, 2 paires de collants de contention, ma botte en mobiderme, des bandes à allongement court, des couvre-orteils, une polaire, une doudoune (arrivée en Espagne, il a commencé à faire froid), une écharpe, un Damart, un bonnet, des gants. Le sac pesait environ 9 kilos (40 litres). L’eau n’est pas un problème. Je partais avec 1 litre / 1 l et demi et cela suffisait car il y a des points d’eau réguliers. Le midi, je mangeais un sandwich et le soir, j’étais dans des gites qui servent le diner.

Mon prochain projet : accompagner à mon tour des personnes qui en ont besoin avec l’association de Saint-Jacques de Compostelle “Mes premiers pas”. J’aimerais les emmener pendant trois ou quatre jours. Leur montrer que c’est possible de marcher même lorsqu’on est malade. Il ne faut pas se donner de limite. Surtout pas, conclut Delphine. 

Entretien réalisé par Laurence Toulet Delaporte